Le monde est ma représentation

A l’annonce du confinement, j’ai immédiatement décidé de lancer une série photographique avec comme seul point de départ la contrainte d’une photo par jour, chaque jour du confinement avec la perspective de tenir jusqu’à la fin ‘’officielle’’. Sans préparation aucune, comme pris dans le vif, sans préméditation, comme un plan séquence, un road trip sur une route dont on ne voit pas la fin, sans savoir la durée de la traversée et sans mesurer l’importance de ce temps enfermé seul dans mon appartement lyonnais. Maitrisant plus l’espace que le temps, allant de la chambre au salon, de la cuisine à la salle de bain, traversant le couloir qui relie le nord et le sud de l’appartement, j’ai commencé à envisager un monde restreint et contraint avec comme seul horizon les fenêtres de l’appartement. Voir les objets, voir le vivant qui m’entourait et prêter attention à l’inerte, regarder à l’intérieur, se pencher à l’extérieur, percevoir les limites finies ou infinies, jauger les distances matérielles ou symboliques de cet espace clos pour appréhender le visible et l’invisible, le dicible et l’indicible. Déballer, excaver, vider le grenier et les placards, regarder au-dedans et au dehors pour construire une représentation de ce moment inouï, de cet espace-temps insensé, instant inédit d’un monde extérieur en transition et d’une onde intérieure en mutation.
Ce travail se déploie sur 2 mois, 8 semaines, 56 jours qui se répètent immanquablement les uns après les autres. La première semaine a été intuitive et s’est produite volontairement sans réflexion de construction mais plus comme une addition de révélations d’instants, des photographies liées à des pensées immédiates, des poses dans la pause, enchaînées, sans liens logiques entre elles, s’imposant de manière simple pour construire une première non série composée d’images visuellement très disparates plastiquement. Des impressions instantanées et non préméditées qui ont donné la matrice de ce que seront les autres semaines. A partir de là, le séquençage se répète au jour le jour, chaque jour sans remise en question du moule de départ. Juste habiter l’espace et le temps en organisant autour des photos des journées qui défilent.
Au fil des jours, la répétition que je me suis imposée tisse un rituel étrange donnant à chaque image une charge symbolique singulière et qui en s’additionnant construit une phrase visuelle hétéroclite et composite. Cette phrase d’images devient une incantation, un mantra intérieur discutant avec l’extérieur. Une tentative de représentation du moment, convoquant avec des objets le souvenir, des objets gardés du souvenir, des objets gardés du passé utilisant le souvenir comme ayant le pouvoir de nous protéger dans le présent et dans le futur. Une tentative de représentation faisant cohabiter un réel bien présent et un irréel bien présent aussi, une tentative de représentation faisant coexister la menace invisible du virus et la mélasse indicible des sensations dues au confinement. L’appartement est mon corps et je suis possiblement le virus qui s’y développe, la mutation doit se faire pour être prêt au sortir de la crise et retourner dans le monde changé.